PascalF Kaufmann

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La lame
La gêne Début de citation La Dame aux fous La Chatte


La Cloison Gazon maudit Misericordia
Point-virgule





Romand noir A tire-d'Aigle


La lame

Le marin est revenu. Il est seul rescapé. Sa voix tremble. Mais, qui n'en aurait pas eu peur de cette vague vrombissante, de cette lame titanesque ?

Ce petit ourlet argenté qui se découd de l'horizon et qui laisse s’onduler une toile gansée par des flots de plus en plus sauvages. Au gré du remou,  d’épaisses parementures cousues par les forces marines sedressent rugissantes, en un rideau ténébreux dense et gigantesque qui se déchirera bientôt pour ne laisser,  en unique représentation, que le spectacle de la désolation.

Les mouettes avaient pris le large.

Le marin dégage de sa poche les bris d’une pipe en écume. Ses yeux sont exorbités.

La lame, de son là-haut toise les estrans, mais elle doit maintenant courber l’échine. Avant de  s'anéantir, elle bande, sous sa voûte des arcs de fluide qu’elle arme de traits d’écueils meurtriers.



L'espace d'un instant, la vague se vitrifie, effilochée d’irrévocable. Les gens, ceux qui sont restés, eux se pétrifient. Ils croient voir dans le mur translucide, des visages, des yeux et des barbes blanches. Des ongles sont incarnés dans leurs propres griffures. Ils croient entendre un appel, des râles sortant de lèvres mortes. Ils se voient en miroir et quand ils comprennent, la vague se lâche; stimulée par des préludes tectoniques, elle s'était jurée un orgasme.

La lame scélérate tranche, fait pâté de tout.

Le pleur des mouettes se  fait entendre tout comme avant, comme si de rien n'était.

Le marin n'est pas une mouette mais un oiseau de mauvaise augure; ce n'est qu'un dieu.



La Chatte

Ajourd'hui c'est dimanche, il fait beau je ne fais rien. Je m’assois sur le vieux banc en planches qui sent le moisi, mal remis des tortures de l’hiver.

En forme d’oeuf au plat, un nid de crocus tapisse le sol. Des corbeaux inaugurent une tranche de paysage qu'un paysan a fraîchement labouré.

Le paysan avait aussi pergué et fumé son champ.

Ça sent la terre, ça pue bon le printemps.

Reste là comme un vieux, nostalgique du temps où à pareille époque la sève, qu’on devine à peine voilée d’écorce irriguer les arbres, remontait aussi dans mon corps et le faisait courir.

Elle arrive, la chatte. Une grosse minette sortie de sa gouttière, blanche tachetée de noir à la cuisse, au cou et au bout de la queue.

Elle part en chasse en flânant telle la quiétude qui recouvre les prés. Elle n'a pas vraiment faim. Elle fait frétiller sa moustache, se tient aux aguets. C’est la guerre, malgré la strate de paix qui recouvre les alentours. Elle se fait peur toute seule, elle se redresse brusquement, se met à l’arrêt et fait tourner ses oreilles comme un périscope, espionne et attends. Puis d’un coup, se rassoit, juge de l’éventuelle ripaille qui se cache sous cette taupinière.

L'espace d'un instant se croit-elle vegan car elle repart indolemment, dédaigneuse, gracile, dodelinant son train comme les belles de défilé.

Puis encore, elle hésite entre guerre et paix, entre éveil et flemme, entre posture d’affamée et de repue.

L'écoute de la chatte est permanente, comme connectée par les sens, alors que moi, je me sens connecté en permanence avec une sorte de néant qui me prend la tête et qui, comme un bruit infernal m’empêche d'écouter de ces sens miens.



Aujourd'hui c'est dimanche, je décide,en plus de ne rien faire, d’être un chat, de ne ciller qu' à un appel de mes sens.

Dans cet essai de quête vers la plénitude, j'attends le choc d'une jonquille qui crève la terre, l'effluve d'une plante printanière, le vacarme d’un rut dans la forêt, mais c'est une sensation inhospitalière - qui ne doit pas être un sens puisqu'elle ne figure pas dans la liste des cinq - qui s'impose, ce n'est pas une faim contemplative, ni la faim d'une quelconque découverte intérieure, non c'est une faim physique, la dalle.

Enfin, quand est-ce qu’on mange, merde !

Puis il a bien fallu que le banc pète, me retrouvant le cul dans les crocus. Je m'écorche à un vieux clou rouillé en m’appuyant sur le dossier qui s’effondre à son tour. Tu parles d’un chat !

J’y vais.

Me rappelle qu'on a pas eu le temps de faire les courses, trop connecté; pas su faire fi du wifi. On va se farcir assurément du “Tricatel” de Louis de Funès, un machin industriel sous vide.

Bien sûr, la chatte revient avec une manière de sourire, fière comme une accouchée, elle prend tout le chemin. Elle tient dans sa gueule un magnifique campagnol bien dodu, brillant et si appétissant...





La gène

Le patron de la Taverna avait baissé l’éclairage jusqu'à une lumière propice et réclamé un silence qui ne s'installa partiellement qu’aux premiers pincements de corde de la mandoline. Les gens fraîchement descendus des cargos de croisières parlaient fort et avaient envie de bien manger et de bien boire plutôt que de s'astreindre à l’écoute circonspecte qu’exige le fado.

Dans leur assiette, ces quelques arêtes de poisson mêlées à un reste de salade cuite ressemblait à leur vie, finalement; deux tas d’os à la recherche d'espoir de fraîcheur qui se fanaient au fur et à mesure qu’ils tentaient de le cueillir. Deux tas d’os échoués sur une île de verdure comme des reliefs de repas sur une assiette qui, pourtant, avait tant régalé. Ils ne s’étaient presque rien dit jusque là, jusqu'à ce que la chanteuse entame son chant nostalgique et puissant, porté par le jeu délicat de la mandoline et de la guitare.

La chanteuse, voilée de noir évoquait la tristesse d’une femme dont le mari marin  ne revenait plus de la pêche. La mélodie s’enlisait encore dans la mélancolie quand une étincelle -qui partit des yeux- illumina le visage du couple.



Quelle note, quel hasard, quel souvenir déclencha ce sourire ? Peu importe, ils en abusèrent quelques secondes. Ils levèrent leur coupe, firent santé. Et dans le tintement du cristal qui se meurt dans le chaos, comme la brèche invisible qui déchire le verre, leur sourire disparut dans un insoutenable moment de gêne.

Elle attrapa instinctivement son iPhone et fit patiner ses doigts n'importe où sur l'écran. Lui regarda en l’air, cherchant contenance dans un brusque intérêt pour la poutraison du plafond. Elle tenta quelques postures, se frotta les lèvres avec le pouce et l'index, elle ancra l’ongle de son pouce sous ses incisives supérieures. Il régla rapidement l’addition tandis qu'elle s’enveloppait dans son fichu. Puis, elle attendit qu'il la conduise comme le font les couples vieux; avec les doigts du monsieur plantés en corolle dans l’omoplate de la dame. Et, ils filèrent, ils s'enfuyaient à vrai dire. Qu’on ne les voit plus, qu’ils ne se voient plus. Ils avaient trop honte d’être devenus vieux.



Début de citation

Je lis dans le guide. Au début, paraît-il, l'île était désertique et ce serait les oiseaux qui en portant des graines, qui en couvrant les regs de fientes l’aurait métamorphosée ; qu’elle se tapisse de verdure et de fleurs extravagantes de formes et de couleurs. Mais à compter la rare volaille, qu’elle vole ou non, cette théorie prend à mes yeux, du plomb dans l’aile. Sauf ici, dans ce petit village bananier, accroché à la montagne. Il y a des pigeons. Qui roucoulent...

 Cela fait une petite heure que l’on marche au soleil avec la copine de Raquel venue nous rendre visite pour la journée. On discute de tout et de rien en regardant les coquettes maisons nichées dans leurs buissons fleuris; la tête ailleurs en somme. Et, suis réellement surpris quand la copine, brusquement, me lance :

- Tu devrais t’y prendre autrement  !

- ???

- Je lis tes textes sur internet, tu sais. J'aime bien ..., mais c'est un peu du lancé à la louche, du splash, on sent qu’ il n'y a pas de plan. Si tu veux intéresser les gens, il faudrait du consistant, un menu complet pas un oeuf au plat.

- Je ...

- Tu fais de l'artisanat ! Essayes de faire plus littéraire, je ne sais pas moi, mets y des citations de célébrités, Pablo Neruda où Nelson Mandela par exemple. A moins que tu te contentes d’un “like” par ci, d’un  “follow me” par là ?

 Je prétexte un soulier délassé pour qu’elle continue devant, rejoindre Raquel. Surtout pour que je puisse digérer une aussi belle franchise. La vache.

 Je fais un écart dans une petite allée et fait  semblant de rattacher ma chaussure quand une plume virevolte, plane et vient se poser sur le sol. Je lève la tête  pour comprendre d'où elle tombe. Et c'est alors que je reçois un truc sur le front, mou, blanc et froid, qui remet en selle la théorie des fientes. Je suis juste sous un pigeonnier, sans doute un élevage qui donne, soit dit en passant, en à-pic vertigineux, sur une large vallée chargée d’un patchwork de bananeraies en terrasse, qui finit par s’ouvrir sur l’océan azur et son horizon galbé.

Quelle sentence aurait trouvé ici Pablo Neruda pour magnifier ce spectacle ? Et dont, on aurait tiré une citation.

Une copine, tu parles ! Où Raquel a bien pu la dénicher celle-ci?

 D'après le guide toujours, les levadas sont des rigoles qui vont chercher l’eau dans les rivières du nord pour irriguer les terres du sud. Un peu comme les bisses en Valais. A voir la luxuriance des espaces pentus du sud, à cette théorie là, je veux bien croire. Ces canaux, à ciel ouvert, qui longent les vallées à flanc de coteau, en pente douce, offrent aux marcheurs une infinité d’itinéraires jusqu’au coeur de l’île dans une diversité de paysages, d’ambiances, d’odeurs surprenantes.

 L’entrée de la levada se trouve à 100 m à gauche, il faut d'abord descendre un petit escalier en galets et on peut suivre du regard une partie du tracé qui coupe le paysage comme la cicatrice d'une vieille blessure. Il s’enfile et s’endort au fond du val et se réveille dans la vallée d’en face traversant deux ou trois villages jusqu’à ce qu’il aille ronfler définitivement derrière une colline qui ressemble à un gros nez.

 Je m'essuie le front et pense me rincer dans l'eau de la levada quand un gros coq fier comme un douanier vient barrer le chemin. En guise de dédouanement, je n'ai d'autre choix que de signer le certificat des adhérents à la théorie des fientes qui stipule que, lui et ses congénères à plume ont bien travaillé du fion, qu’ils ont bien fertilisé toute l’île.

Et je peux enfin laver ce guano collé sur ce que, un pigeon avait pris pour un désert. J'oublie mes lunettes, m'en rendrai  compte que plus tard. Continue la route. Une grand-mère est assise sur un tronc, immobile, comme si elle attendait l’autocar. Elle tient entre ses genoux, un bâton de canne à sucre que les gens d'ici utilisent en guise de canne. Elle porte un bonnet de laine où est planté une plume de .. pigeon.

 Je pense à cette histoire de citations,  mais ici, au  gré des espaces traversés, la nature en fournit, et des meilleures,  à chaque pas sans même essayer de convertir les profanes à une quelconque intelligence universelle; juste les yeux, l’oreille et  le nez.

 Je rattrape Raquel et sa vipère de copine mais heureusement, je m'étais arrangé avec un caillou pour qu'il entre dans ma chaussette dans cette citation…pfff, situation, j'en fait des lapsus. J'arrête pas d’y penser.

Je me dis que Nelson Mandela, Pablo Neruda, pourquoi pas Sacha Guitry et même le René du café du Commerce, tous, s’ils se trouvaient dans ce décor floral où l’air s'imprègne tantôt du camphre des eucalyptus, tantôt de  romarin ou de persil sauvage, oui tous, sous ces couverts branchus, face à cette chute d’eau d'où sort une bulle de BD qui appelle “Ohé ! Capitaine, Ohé! Capitaine”, dans le dédale d'un tunnel amorçant un voyage au centre de la terre, suite à la rencontre de  Raquel avec Indiana Jones, tous auraient proféré citation non-grata au profit d'une incitation. Une incitation à découvrir cet endroit, une incitation à la marche, à prendre conscience du dehors qui aère son dedans, du précieux de cette exceptionnelle nature qui excite ou remet les cinq sens dans le bon sens.


 Nous finissons la marche en descendant un chemin qui borde une rivière, qui termine sa course dans l’océan. Puis, nous rentrons en bus. Je me rends compte que j'ai oublié mes lunettes, me rappelle les avoir laissées au départ de la levada, décide d'une expédition en voiture pour les retrouver. Ce sera toujours ça de moins passé avec la copine qui s'incruste. D’ailleurs, elle ne manque pas de citer à mon égard, je ne sais quel poète: “Quand on a pas de tête, on a des jambes".

 Remonte là-haut avant la tombée de la nuit, je trouve mes lunettes juste avant que le soleil ne baille, qu’il étende ses bras roses sur l’océan et se couche sous l'horizon. Dans le crépuscule, je vois se découper une ombre, c'est la grand-mère à la plume de pigeon toujours assise au même endroit, il semblerait que l'autocar ne soit pas encore passé.

Pas envie de rentrer et revoir cette chipie de copine dont les remarques n'ont cessé de me tourmenter. Vais prendre un café dans le snack-bar tout près de là. Le patron devine que je parle français, il a travaillé en Belgique pendant quelques années. J’évoque cette étrange rencontre avec la grand-mère immobile.

- Oh là là, je vais te raconter l'histoire.

Cette grand-mère, comme tu dis, s'appelle Maria. Plus jeune, elle était la plus belle fille du hameau, tous les garçons étaient un peu amoureux d'elle. Mais son coeur était déjà pris par Luis, un gars qui habitait le village de la vallée d’en-face. Ils correspondaient par la levada. Chaque matin, Luis lui envoyait un petit mot qu’il glissait dans un tube de canne à sucre et qui flottait jusqu’ ici. Chaque matin, elle récupérait le billet qui à sa lecture, illuminait son visage pour la journée. Et elle, pour envoyer ses mots, comme le tube ne pouvait pas remonter le courant, se servait d'un pigeon à qui elle avait appris à voyager car son père tenait un élevage  dans une cabane au bord de la route.

- Tu l'as peut-être vue d'ailleurs, elle existe toujours.

 Une fois, pendant toute une semaine, elle n’a rien reçu, elle restait devant la levada, à l'endroit où tu l’as vue ce soir, le visage terni par la tristesse. Puis un  jour, elle vit arriver un bateau jaune confectionné avec une peau de banane, des rondelles de bouchon en liège et en guise de voile, des rameaux de fougères. Quand elle découvrit une alliance au fond du bateau, elle en fût folle de joie, elle se mit à danser, à chanter “Luis va me marier, Luis va me marier”. Elle embrassa tous les voisins et voisines qu'elle rencontrait. Elle courut à la cabane équiper son pigeon mais le trouva mort, sur le dos les pattes en l’air. On sut plus tard que l’un des prétendants de Maria, jaloux avait zigouillé la bête. Elle fut désemparée et sans plus écouter personne, s'élança le long de la levada retrouver son Luis, le coeur battant. A mi-chemin, elle découvrit une forme inerte au fond du précipice, c'était Luis qui avait déroché . Lui aussi n’avait pas pu retenir son élan et s’était élancé de tout son amour le long du canal. Pendu autour du cou de Luis, on retrouva le deuxième anneau

Alors depuis, Maria attend au bord de la  levada, de temps en temps, elle répète à qui veut : “Il va venir ce message, ça prend simplement du temps de tout là-haut où Luis habite maintenant”.

 Je descend rejoindre Raquel, même si je devrais affronter sa chipie de copine. Pas question de jouer le pleutre après une histoire pareille. Mais elle est partie.

 Je dépose ce récit sur mon smartphone. Mais subitement je le trouve mièvre; il ne  plaira qu'à une poignée de ménagères. Il est, . oui, il est splash, il faut du sel. Que je sale l'oeuf au plat avec du Martin Luther King, que je l’épice avec du Mahatma Gandhi. Oui mais, où aurait-il posé son rouet sur ces étroits sentiers construit sur le vide. Et puis merde qu’elle aille au diable. Il y en a tellement de ces citations  dans les dictionnaires, la plupart volées aux petites gens par des auteurs arrivistes. Qu'elle écrive ce qu’elle veut, tant qu’elle en a envie, qu’elle me lâche les basques.

Je  ne me suis jamais pris pour un écrivain, je veux juste raconter mon voyage et c'est tout. J'arrête, car, c'est bien quand on referme le livre que sa lecture commence.

Fin de citation.